mardi 17 décembre 2024

BQN n°2 - Page 14 : "SKIN DISEASE" de Jean-Luc Galus .- Illustration musicale : "Skin Disease" de/par Marquis de Sade.

 



SKIN DISEASE 
Marquis de Sade « Chorus » - Antenne 29 - décembre 1979

« You’ve got a skin disease… » Et vous qu’attendiez-vous jusque-là ? Comment aviez-vous étanché votre faim jusque çà ? Quoi pour vous nourrir ? Parce qu’avant cela seul Brel semblait pouvoir soule- -ver une montagne en chantant Amsterdam. Et bien qu’on découvrit quelques mois après cela quasi mutique quoique convulsionnaire celui qui post-mortem demeurera certifié référence suprême : Ian Curtis de Joy Division… Jamais . Jamais ce qu’on nomme événement jamais rien de cet acabit ne se sera ainsi produit ! Ouverture au noir incisive le disque du générique tourne tandis que s’affiche le nom du groupe sur des esquisses. Ça sent le soufre : Marquis de Sade ! L’électricité du premier titre se propage déjà… Le neuf décembre mille neuf cent soixante dix-neuf sur l’écran de la télé ce fut semblable à la première goutte de l’orage qui provoque l’onde de choc ondulant la surface d’un lac volcanique. Le chanteur sillonne la scène comme s’il s’agit d’un puzzle capricieux de plaques tectoniques. Il trace de ses dix doigts des feux d’artifice semblables à des flagelles à l’arrêt. Dès lors on suit ses traces : on entre. Il y aura eu des occasions qu’on regrettera d’avoir manquées tout le reste de sa vie car souvent ce qui vaut la peine d’être vécu n’apparait que furtivement ! Mais cela continuellement embusqué dans un angle-vif de ma mémoire n’en fera pas partie ! Bousculant mon existence pire que la débandade affolée sur les marches de l’escalier à Odessa dans le Cuirassé Potemkine ce-à m’aura poursuivi jusqu’à aujourd’hui où j’écris ! Six garçons ont lustré leur peau sur le rabat satiné de leur costume électrique. L’un tisse des guipures ajourées comme la caisse rougeoyante de sa guitare afin de montrer de quel bois il se chauffe quand l’autre fend la vague tel le Capitaine Achab qui se cabre face à Moby Dick aux abois. … Les vois-là pour la première fois ! Les voilà ces seigneurs aussi émaciés que des duchesses morphinées. Dans l’œil du cyclone j’ai vu ! Des effets de dislocation des parties de corps séparées supprimant tout point d’appui C’est une remise en question des lois de l’équilibre ! J’ai vu un danseur en lézard morose enchainer les zigzags j’ai vu un boxeur trébuchant j’ai vu un forçat forcé aux fers les jointures oxydées sous l’orage que les autres déversent. Et le groupe tresse des cumulus de suie où semblent s’ébaucher de sombres présages que nul aruspice n’aurait su voir se dessiner : sombres augustes comme dans un simple marc de café.   

Signes de menace ou de fatalité ? Le voilà lui ! Fil-de-fériste en appui précaire culbutant le bel ordonnancement de l’univers. C’est un danseur escaladant à la suite d’Eurydice jusqu’au-dessus le volcan comme s’il s’était extirpé des enfers dans un escalier en hélice aux marches lissées par des siècles de circulation ! Au milieu d’eux le voilà ! Equilibriste dont les contorsions convoquent Francis Bacon. Parmi eux le voilà en Christ tiré à quatre épingles. Egon Schiele en Saint Sébastien ! Celui-là qui danse endigue le tourment… L’heure du hold-up est venue. Sur la scène du Théâtre de l’Empire me saisissent ces raffinés plus beaux que des fresques byzantines dégagées des plâtras dans Sainte- Sophie à Istamboul ! Des dandys de cabaret en costard droit ou croisé qui décochent des directs des doubles croches des éclats…. Une esthétique pyrotechnique ! L’entrelacement brasillant des guitares l’échine soyeuse de la rythmique les mouvements et la gestuelle au lieu de se tenir à distance me sautent aux yeux ! J’essaie de renouer avec des visions anciennes… Ce choc esthétique s’est produit à cet instant-là devant moi sur l’écran. SKIN DISEASE WHO SAID WHY ? CONRAD VEIDT SET IN MOTION MEMORIES

No mow tchoyce no mow voyce no mow voyce aïe donte want tou(e) ire visse inoeu voyce itse so so ard(e) tou teyk(e) wan’se tchoyse and(e) naow aïe’m(e) frowingu(e) ahout maïe zowtsse. Youh lin(e) youh eide euponn youh fraind’ss(e) chouldeuh baqu(e) in(e) veu(h) ouaïte roume eu blonde eire meine djeust(e) eunaveh cèleuh saïlennt(e) smaïl(e)zz eind(e) oplaisse louqu’x(e) wouip(e) off(e) longu(e) chwèd’z(e) o’v(e) draï skin(e) steind(e) eup(e) eind(e) fayce veu ouind(e) oui kot eu skin(e) diziz(e) conn(e)choussness fèll(e) euslip(e) (…)

Ce choc esthétique se renouvelle aujourd’hui à travers ce que je tente de raconter. Je souhaitais aussi que ce-là (quand tout se sera consumé) reste comme dans les livres d’histoire de l’école primaire : Bernard Palissy brûlant ses meubles brûlant les portes brûlant les fenêtres brûlant le plancher même de sa maison opiniâtrement cherchant le secret de l’émail. . Mais maintenant ce dont je me souviens aussi et que j’écris ne reviendra jamais. Ce qui paraissait immuable a fini par ployer ! Des panaches de fantômes glissent dorénavant dans l’obscurité ils mordent ma conscience comme le gel immiscé dans la fissure du mur. Comment raconter cela maintenant ? On ne sait plus rester seul dans sa propre demeure où coexiste une abondance d’absences. Chaque mort glisse des épines sous la peau dans une morsure vivace en un bouquet rosacé. C’est comme si on percevait des explosions dont personne ne semble s’apercevoir… C’est dans sa tête. Qu’est-ce que cela veut dire dans sa tête ? Est-ce un récif couvert de varech ? Est-ce un radeau dans la tempête ? Ou un calvaire de granit dessous la saucée des cieux ?! Pas besoin pour pleurer d’aller plus loin que le bout du jardin… Aucune silhouette cinglant l’air. Leur disparition aura lessivé leur essence dont on conserve en mémoire l’apparence. Pas de danse il y a juste un instant et puis…. trébuchant. On a longtemps cru que l’existence se poursuivrait accélérée par quelque passion ! Tout ce que j’ai aimé qui soulevait mon cœur voilà que ça meurt… On fouille dorénavant sous la cendre alors que sous tout ce qu’on adorait le feu couvait. Désorienté on tombe en peine dans des déviations lentes initiées par quelque intempérie intime… Petites pluies grésillant tel un vieux vinyle de Blues qui égraine la mémoire de fantômes familiers.

 Lequel a poussé la mauvaise porte ? Descendu le mauvais escalier ? Qui a croisé le portier de la nuit avec ses cheveux plaqués comme les ailes noirtes du corbeau d’Edgar Allan Poe ? Les esprits passent certains soirs. On ne saurait les voir sauf sur de vieilles photo- -graphies qui provoquent un appel d’air. On part à rebours. Si seulement on disposait du pouvoir du narrateur : étirer suspendre arrêter. Mais non ! C’est un précipité ! Chaque image fait choir un souvenir. Etrange fruit mûr qui touchant le sol s’égraine en des tristesses remisées croyait-on. Des phénomènes de persistances acoustiques déstabilisants. Un miaulement qui erre dans l’air…. Et cette voix autrefois au téléphone plus troublante que sur les disques. Paralysie de la réverbération. On trébuche contre ces échos d’hallucinations ! Un kaléidoscope tressautant de spectres disparates… Comment ne pas s’y engouffrer ?!? Parfois on sombre dans un précipice. C’est une entaille dans la crevasse une cicatrice dans les entrailles. On entre on plonge on tombe comme dans un trou. Peut-être que tout cela ça n’est plus que des souvenirs ressassés… 

L’incendie avait jailli il y 45 ans sur le téléviseur qu’on regardait et c’était comme si on voyait tout cela se métamorphoser en lave ! L’incandescence de la danse sur l’écran m’avait sauté dessus : un fondu enchaîné comme au gluant du goudron un été brûlant. Ignorant alors que ces embrasements fusant sur fonds d’ombre ne furent que des jeux de lumières qui verseraient finalement leur liqueur noirte ! Comment raconter tout cela maintenant ? Te voici. Tu danses. Tu danses à deux pas du ravin… Celui-là qui danse endigue le tourment ! 

Marquis de Sade « Chorus »/Antenne 2 le 9 décembre 1979 
SKIN DISEASE - Texte écrit par Jean-Luc Galus. 
La photo de Philipe Pascal est une capture d’écran du concert de Marquis de Sade diffusé le 9/12/1979 dans l’émission d’Antoine De Caunes sur la 2e chaine de télévision française.


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