SKIN DISEASE
Marquis de Sade
« Chorus » - Antenne 29 - décembre 1979
« You’ve got a skin disease… »
Et vous
qu’attendiez-vous jusque-là ?
Comment aviez-vous étanché votre faim
jusque çà ?
Quoi pour vous nourrir ?
Parce qu’avant cela seul Brel
semblait pouvoir soule-
-ver une montagne
en chantant
Amsterdam.
Et bien qu’on découvrit quelques mois
après cela quasi mutique quoique
convulsionnaire
celui qui post-mortem
demeurera certifié référence suprême :
Ian Curtis
de Joy Division…
Jamais .
Jamais
ce qu’on nomme événement
jamais rien de cet acabit
ne se sera ainsi produit !
Ouverture au noir incisive
le disque du générique tourne tandis que
s’affiche le nom du groupe sur des esquisses.
Ça sent le soufre : Marquis de Sade !
L’électricité du premier titre se propage
déjà…
Le neuf décembre mille neuf cent soixante dix-neuf
sur l’écran de la télé ce fut
semblable à la première goutte de l’orage qui
provoque
l’onde de choc
ondulant la surface d’un lac volcanique.
Le chanteur sillonne la scène
comme s’il s’agit d’un puzzle capricieux de
plaques tectoniques.
Il trace de ses dix doigts
des feux d’artifice semblables à des flagelles
à l’arrêt.
Dès lors on suit ses traces : on entre.
Il y aura eu des occasions qu’on
regrettera d’avoir manquées
tout le reste de sa vie car souvent
ce qui vaut la peine d’être vécu
n’apparait que
furtivement !
Mais cela continuellement embusqué
dans un angle-vif de ma
mémoire
n’en fera pas partie !
Bousculant mon existence pire que la
débandade affolée sur les
marches de l’escalier à Odessa dans le
Cuirassé Potemkine
ce-à m’aura poursuivi
jusqu’à aujourd’hui où j’écris !
Six garçons ont lustré leur peau sur le rabat
satiné
de leur costume électrique.
L’un tisse des guipures ajourées comme la
caisse rougeoyante de sa guitare
afin de montrer de quel bois il se chauffe
quand l’autre
fend la vague
tel le Capitaine Achab qui se cabre
face à Moby Dick aux abois.
… Les vois-là pour la première fois !
Les voilà ces seigneurs aussi émaciés que des
duchesses morphinées.
Dans l’œil du cyclone j’ai vu !
Des effets de dislocation
des parties de corps séparées
supprimant tout point d’appui
C’est une remise en question des lois de
l’équilibre !
J’ai vu un danseur en
lézard morose
enchainer les zigzags
j’ai vu un boxeur
trébuchant
j’ai vu un forçat
forcé aux fers
les jointures
oxydées sous
l’orage que les
autres déversent.
Et le groupe tresse des cumulus de suie
où semblent s’ébaucher
de sombres présages
que nul aruspice n’aurait su voir se dessiner
: sombres augustes
comme dans un simple marc de café.
Signes de menace ou de fatalité ?
Le voilà lui ! Fil-de-fériste en appui précaire
culbutant le bel ordonnancement
de l’univers.
C’est un danseur escaladant à la suite
d’Eurydice
jusqu’au-dessus
le volcan
comme s’il s’était extirpé des enfers dans
un escalier en hélice
aux marches lissées par des siècles
de circulation !
Au milieu d’eux le voilà !
Equilibriste dont les contorsions
convoquent Francis Bacon.
Parmi eux le voilà en Christ tiré à quatre
épingles.
Egon Schiele en Saint Sébastien !
Celui-là qui danse
endigue le tourment…
L’heure du hold-up est venue.
Sur la scène du Théâtre de l’Empire
me saisissent ces raffinés
plus beaux que des fresques byzantines
dégagées des plâtras dans Sainte- Sophie à
Istamboul !
Des dandys de
cabaret en costard droit
ou croisé
qui décochent des directs des doubles croches
des éclats…. Une esthétique pyrotechnique !
L’entrelacement brasillant des guitares
l’échine soyeuse de la rythmique
les mouvements et la gestuelle
au lieu de se tenir à distance
me sautent aux yeux !
J’essaie de renouer avec des visions
anciennes…
Ce choc esthétique s’est produit à cet
instant-là
devant moi
sur l’écran.
SKIN DISEASE
WHO SAID WHY ?
CONRAD VEIDT
SET IN MOTION MEMORIES
No mow tchoyce no mow voyce no mow
voyce aïe donte want tou(e) ire visse inoeu
voyce itse so so ard(e) tou teyk(e) wan’se
tchoyse and(e) naow aïe’m(e) frowingu(e)
ahout maïe zowtsse.
Youh lin(e) youh eide euponn youh
fraind’ss(e) chouldeuh baqu(e) in(e) veu(h)
ouaïte roume eu blonde eire meine djeust(e)
eunaveh cèleuh saïlennt(e) smaïl(e)zz eind(e)
oplaisse louqu’x(e) wouip(e) off(e) longu(e)
chwèd’z(e) o’v(e) draï skin(e) steind(e) eup(e)
eind(e) fayce veu ouind(e) oui kot eu skin(e)
diziz(e) conn(e)choussness fèll(e) euslip(e)
(…)
Ce choc esthétique se renouvelle aujourd’hui
à travers ce que je tente de raconter.
Je souhaitais aussi que ce-là
(quand tout
se sera consumé)
reste comme
dans les livres d’histoire
de l’école primaire :
Bernard Palissy brûlant ses meubles
brûlant les portes
brûlant les fenêtres
brûlant le plancher même
de sa maison opiniâtrement
cherchant le secret de l’émail.
.
Mais maintenant ce dont je me souviens
aussi et que j’écris ne reviendra jamais.
Ce qui paraissait immuable a fini par
ployer !
Des panaches de fantômes glissent
dorénavant
dans l’obscurité
ils mordent ma conscience comme
le gel immiscé dans la fissure du mur.
Comment raconter cela maintenant ?
On ne sait plus rester seul dans sa propre
demeure
où coexiste
une abondance
d’absences.
Chaque mort glisse des épines sous la peau
dans une morsure vivace en un bouquet
rosacé.
C’est
comme si
on percevait des explosions dont personne
ne semble s’apercevoir…
C’est dans sa tête.
Qu’est-ce que cela veut dire dans sa tête ?
Est-ce un récif couvert de varech ?
Est-ce un radeau dans la tempête ?
Ou un calvaire de granit
dessous la saucée des cieux ?!
Pas besoin pour pleurer d’aller plus loin
que le bout du jardin…
Aucune silhouette
cinglant l’air.
Leur disparition aura lessivé
leur essence dont on conserve
en mémoire l’apparence.
Pas de danse il y a juste un instant
et puis…. trébuchant.
On a longtemps cru que l’existence
se poursuivrait
accélérée par quelque passion !
Tout ce que j’ai aimé
qui soulevait mon cœur
voilà que ça meurt…
On fouille dorénavant sous la cendre
alors que sous tout ce qu’on adorait
le feu couvait.
Désorienté on tombe en peine
dans des déviations
lentes
initiées par quelque
intempérie intime…
Petites pluies grésillant
tel un vieux vinyle de Blues
qui égraine la mémoire
de fantômes familiers.
Lequel a poussé la mauvaise porte ?
Descendu le mauvais escalier ?
Qui a croisé le portier de la nuit
avec ses cheveux plaqués
comme les ailes noirtes du corbeau
d’Edgar Allan Poe ?
Les esprits passent certains soirs.
On ne saurait les voir
sauf sur de vieilles photo-
-graphies
qui provoquent un appel d’air.
On part à rebours.
Si seulement on disposait du pouvoir du
narrateur
:
étirer
suspendre
arrêter.
Mais non !
C’est un précipité !
Chaque image fait choir un souvenir.
Etrange fruit mûr qui touchant le
sol s’égraine en des tristesses
remisées croyait-on.
Des phénomènes de persistances acoustiques
déstabilisants.
Un miaulement qui erre
dans l’air….
Et cette voix autrefois au téléphone
plus troublante
que sur les disques.
Paralysie de la réverbération.
On trébuche contre ces échos
d’hallucinations !
Un kaléidoscope tressautant
de spectres
disparates…
Comment ne pas s’y engouffrer ?!?
Parfois on sombre
dans un précipice.
C’est une entaille dans la crevasse
une cicatrice dans les entrailles.
On entre on plonge on tombe
comme dans un trou.
Peut-être que tout cela ça n’est plus que des
souvenirs ressassés…
L’incendie avait jailli il y 45 ans
sur le téléviseur
qu’on regardait et c’était comme si
on voyait tout cela se
métamorphoser en lave !
L’incandescence de la danse sur l’écran
m’avait sauté dessus :
un fondu enchaîné comme au gluant du
goudron un été brûlant.
Ignorant alors que ces embrasements
fusant sur fonds d’ombre ne furent que des
jeux de lumières
qui verseraient finalement leur liqueur
noirte !
Comment raconter tout cela maintenant ?
Te voici. Tu danses.
Tu danses à deux pas du ravin…
Celui-là qui danse endigue le
tourment !
Marquis de Sade
« Chorus »/Antenne 2 le 9 décembre 1979
SKIN DISEASE - Texte écrit par Jean-Luc Galus.
La photo de Philipe Pascal est une capture d’écran du concert de
Marquis de Sade diffusé le 9/12/1979 dans l’émission d’Antoine
De Caunes sur la 2e chaine de télévision française.
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