QUEMHRF !
ÉCOUTE - ÉCRIT - D’UN TRAIT
projet d’écriture en cours … deux auteurs : Anne Letoré & Christoph Bruneel
ici suit le texte d’Anne Letoré
UN RÊVE DANS LE VENT
Un
vent puissant me poussait dans la descente. Roulée en boule je dévalais mes
rêves sans attache.
Des
rêves où s’entremêlent des personnages difformes, plus exactement déformés par
un miroir magique. Un miroir dont le fin cadre d’aluminium se tord en dizaines
de côtés. Chaque partie touchant le côté est un miroir indépendant. Une face
fractale ou mes rêves se reflètent, comme autant de gouttes de pluie sur la
surface d’une rivière gelée. Chaque goutte dévale, suit un courant immobile,
roule jusqu’à la mer où elle épouse une vague attendue.
Dans
mes rêves, la houle s’enfle au fur et à mesure de la tempête, du sillage d’un
navire, de l’atterrissage d’une mouette.
Mes
rêves. Jamais à l’heure. Alors, le tambour du temps bat, bat comme un joggeur
court le long des allées du parc, toujours le même parcours, les mêmes foulées,
les mêmes coups sur la terre du chemin.
Rêver.
Verre. Un rêve s’agite derrière le verre de la vie, toujours déformant. Parfois
envie de prendre un marteau et de casser les rêves, de briser les miroirs,
d’effacer les images. Mais où trouver un tel marteau ?
Alors,
je cours, comme le joggeur, inlassablement suit le même chemin, jour après
jour. Mollet bandé, bras articulés, cou tendu, le regard fixe, droit devant.
Puis…
La
chute. Rouler dans la poussière du chemin, le corps en sueur, ça colle comme le
sable ancré dans la serviette de bain. Va-t-il se relever ?
Je
m’approche du joggeur. Sa poitrine se soulève. Il vit. Me voit-il ? Son
regard me fixe comme il fixe le bout de sa course, dans le vague. Son téléphone
sonne. Il ne bouge pas. Je m’agenouille, ramasse son portable éjecté lors de la
chute, appuie sur le bouton vert.
—
Allo ? me dit à l’oreille une voix que je ne saurais qualifier ni
masculine ni féminine. C’est comme la voix d’une chouette, grasse.
—
Oui.
—
Qui êtes-vous ?
J’appuie
sur le bouton rouge, me relève et poursuis mon jogging, mollet bandé, bras
articulés, cou tendu, le regard fixe, droit moi. Quand viendra ma chute ?
Je quitte le chemin, reprends mon souffle et ma marche. Courir n’est pas mon fort, même en rêve.
Le
jour commence de tomber. Les oiseaux commencent leur nocturne. Je suis assise
sur un banc de bois verdi, au bord du lac. Quelques poissons s’aventurent en
surface à la recherche d’insecte peut-être, ou pour voir qui s’est assis sur le
banc. Je peste en me rendant compte que j’ai oublié mon livre. Disant cela, je
m’allonge sur le banc. Un objet vient de tomber. Je me redresse et me
penche : c’est un livre sans couverture, un livre format poche. Je le
feuillette. Il est très humide. Sur chacune de ses pages une photo d’eau, lac,
océan, rivière… Je me rassieds et m’adosse confortablement au banc. Malgré
l’arrivée de la nuit, je vois parfaitement dans le livre, ainsi je peux lire
les légendes sous les photos. Mer d’Aral. Océan Pacifique. Yser. Lac Tanganyika.
Quels voyages en quelques secondes ! Du bout de l’index je suis les
contours d’un lac, le friselis des vagues, le reflet argenté d’une rivière… et
ne me rends pas compte que l’eau du lac déborde et vient se lover à mes pieds.
Happée, subjuguée, hypnotisée… autant d’horribles mots pour décrire mon état
second. Je voyais réellement bouger l’eau, comme si j’étais dans le paysage de
la photo. Et toujours cette impression de descente vertigineuse, sans prise
aucune. Une autre impression : je suis dans une bulle, une énorme bulle
lourde, épaisse, glaireuse. Je m’y agite, non pas désespérée, mais comme si je
participais à une danse élaborée. Les parois de la bulle sont si épaisses
qu’elles me protègent de la forme sombre, un ovale incertain, qui s’approche ;
par contre, je distingue nettement une énorme cavité centrale qui s’agrandit
plus elle vient vers moi. Je décide de ne plus bouger, de faire la morte…
Stratagème inutile : la forme vient de percer la bulle. S’en échappent des
jets de liquide rouge qui m’entraînent vers le fond. Inerte, je me laisse
porter. Comme un fétu de paille dans la tempête. Comme un ruban sur la crête
des vagues. Comme un mot d’amour oublié dans des mémoires qui s’oublient.
L’ovale vient de m’engloutir.
(Tangerine Dream - Phaedra (Edgard Froese - mellotron / guitare basse / vcs3 synthétiseur / orgue, Chris Franke - Moog synthétiseur / claviers / vcs3 s A, Peter Baumann - orgues / piano électrique / vcs3 synthétiseur / flûte) (Virgin V 2010, décembre 1973 - vinyle)).
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Contact et plus===>L’Âne qui Butine : Éditeur à sens unique, cyclonique et imprévisible. (anequibutine.com)
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